acoutisque

Première apparition dans le Monde Diplomatique en janvier 1981 dans l'article Le Grand chamboulement, par Mario Benedetti.

Julita fille unique, fille de veuf, parce que Maria Julia était morte à temps, avant ce chaos, avant cette chienlit, lorsque les jeunes officiers avaient encore l’occasion et l’envie de se rendre au théâtre Solis, surtout pour les saisons des compagnies étrangères, montrant à l’entrée la sympathique médaille quadrangulaire et s’asseyant dans la loge où il y avait déjà un prévoyant et ponctuel capitaine de frégate qui obtenait toujours la meilleure place, comme par exemple le soir où il éternua, le soir où Ruggiero Ruggieri donnait son Pirandello dans un climat de tension et de silence tel qu’il sentit un picotement lui monter au nez et se rendit compte qu’inévitablement il allait éternuer et se souvint à temps de Maria Julia qui se retenait en attrapant ses narines entre le pouce et l’index, et de cette façon réussissait à n’émettre qu’un tout petit bruit étouffé, à peine audible à 20 centimètres, et qu’il voulut faire de même, respecta tout le rituel extérieur, se pinça le nez mais au moment précis et dramatique où Ruggieri observait le silence le plus émouvant du second acte, on entendit dans la salle — et Dieu sait si l’acoutisque du Solis est remarquable, comparable seulement à celle de la Scala — on entendit dans la salle une espèce de klaxon, de coup de sirène strident et aigu, suffisant pour que tout l’orchestre et Ruggiero en personne se retournent vers la loge militaire où le capitaine de frégate faisait l’impossible pour faire comprendre qu’il n’était pas le propriétaire de la scandaleuse sirène.